miercuri, 28 septembrie 2016

Une balançoire sur la mer

             
                     (Extraits) 

    „Und wie Früchte sind wir. Hoch hangen wir in seltsam verschlungenen Ästen und viele Winde geschehen uns. Was wir besitzen, das ist unsere Reife und Süße und Schönheit. Aber die Kraft dazu strömt in einem Stamm aus einer über Welten hin weit gewordenen Wurzel in uns Alle. Und wenn wir für ihre Macht zeugen wollen, so müssen wir sie jeder brauchen in unserem einsamsten Sinn. Je mehr Einsame, desto feierlicher, ergreifender und mächtiger ist ihre Gemeinsamkeit.”
                         Rainer Maria RILKE, „ Notizen zur Melodie des Dinge”
 
 
"Et nous sommes comme des fruits. Nous pendons haut à des branches étrangement tortueuses et nous endurons bien des vents. Ce qui est à nous, c’est notre maturité, notre douceur et notre beauté. Mais la force pour ça coule dans un seul tronc depuis une racine qui s’est propagée jusqu'à couvrir des mondes en nous tous. Et si nous voulons témoigner en faveur de cette force, nous devons l’utiliser chacun dans le sens de sa plus grande solitude. Plus il y a de solitaires, plus solennelle, émouvante et puissante est leur communauté.”
                         Rainer Maria RILKE, „ Notes sur la mélodie des choses”
 
1
 J’ai entendu à des milliers de kilomètres un arbre se balançant.
 Je préparai rapidement ma valise,  
  Et je vins à l’arbre de l’eau-
  Une balançoire sur la mer.  
 
  La jambe gauche pliée, la droite soutenant mon menton,
  Je reste silencieuse comme devant la Table de Brancusi,
  Sur la balançoire attachée à la Colonne de l’Infini,
  Collée contre elle tel un escargot après la pluie
  Contre le mur humide.
 
Je suis accrochée haut frémissant au rythme des vagues abruptes
Dans les voix de ceux qui sont passés par ici en fuite,
Dans les voix de ceux qui sont partis
Sans retour.
Accrochée haut, attachée au ciel,
La Colonne de l’Infini suit son chemin
Et le vol est limité.
 
Mon cœur, un cristal millénaire
Sur les eaux de la Méditerranée.   
 
 2
 
Je suis née dans un pays 
Le centre au milieu d’une périphérie,
Depuis qu’il fut coupé en deux-
Un iceberg errant sur la Mer Noire. 
 
Là-bas la liberté fut vendue aux enchères, 
Le droit à la parole- prêté en potions,
Et les maîtres des potions,  par manque de gouttes,
Réfléchissaient à notre place.    
 
Pendant que j’aspirais l’air pour me remplir les poumons,
Les mots comme les écailles se sont collées contre le corps,
Ainsi, lors des différentes étapes de la vie,
Pour respirer normalement,
J’ai grandi avec plusieurs langues maternelles.
 
Une terre au souffle de la peur,
Où les mots prononcés ce sont
Des furoncles poussés aux genoux
Pour qu’on puisse marcher en titubant.
 
Là-bas une hirondelle fait le printemps,
Le silence prolonge les jours,
Les gouttes de pluie ajoute à l’eau potable,
Les mots «vie» et «visa» sont des oiseaux identiques,  
 
Les hommes marchent en balançant les épaules,
Par le poids de l’Histoire et de l’absence de l’Histoire,
Tandis que les femmes qui réfléchissent intéressent
Uniquement lorsqu’elles sont accompagnées
Parce qu’elles ne suscitent pas de questions,
 
Les pressions créent l’équilibre
Et, pour résister,
La société cherche à te créer
Selon son image et ressemblance.  
 
Moi, en revanche, l’unique pression
Que j’ai accepté d’apprendre
C’est la pression de l’eau.
 
3
 
Le sang est un oiseau endormi
Dans la blessure fiévreuse de l’aube;
Il se réveille en assouvissant sa soif avec la fuite
Dans les gouttes du vol intarissable.
 
La mémoire de plomb sur les ailes largement étendues
Déverrouille avec ses yeux profonds les lourds cadenas-
Dans les eaux de la Méditerranée
Se multiplient soudainement les racines.
 
Dans la fuite pour la survie, depuis le sang de ma mère,
La Mer Noire et la Mer Méditerranée se sont données
Indissolublement la main, pour que je vienne-
Ce fut mon premier vol d’oiseau.  
 
J’ai des racines communes avec la mer-
Les larmes tombées, durant des siècles, dans la Méditerranée;
La cloche du ciel résonne au loin comme une promesse,
Les âmes cherchent dans le monde leurs moitiés perdues. 
  
4
 
Des longues années, adolescente en exil,
Quand mon ouïe convertissait
Le monde en silences profonds
Et presque je n’avais prononcé
Aucun mot
En ces temps de début,
Je venais dimanche à l’aube au bord de la Méditerranée,
Le cœur rempli de morceaux de verre.
 
La mer, ma première liturgie dominicale.
Mer - autel.  
M’inclinant avec piété,
J’ôtais chaussures et habits
Et me jetais dans les eaux de Calanques.
 
Il n’existait aucun risque:
Dimanche à l’aube
Il n’y avait pas de sauveteurs pour m’alerter
Que je dépassais la barrière de sécurité,
Lorsque je planais des kilomètres et des kilomètres 
A travers le tunnel,
Au-delà de l’accès permis, des kilomètres et des kilomètres. 
 
Aucun risque. Secouant les morceaux de verre dans l’eau,
Personne ne se couperait en les touchant.
Dans l’eau tout devient caresse-
Les illusions, les armes.
 
Des longues années, la nourriture de chez moi dans l’exil
Etait la chair de la Méditerranée,
Lorsque les lettres de ma mère n’arrivaient pas à destination
Et qu’il n’existait pas d’autres moyens de communication.
 
Aucun risque. Dans l’eau on ne voit pas les larmes,
Ni le sang jaillir des plaies ouvertes,
Dans l’eau tout devient un ensemble:
Les cicatrices, les courants marins.
 
Des kilomètres et des kilomètres dans le tunnel bouillant;
Derrière moi les morceaux de verre flottaient
Sur les eaux de la Méditerranée,
Des longues années. 

Du volume Une balançoire sur la mer (Scrânciob pe mare/Un columpio sobre el mar),  Chișinău, ed. Prut, 2016 
 
 

Niciun comentariu:

Trimiteți un comentariu