18 avril 2022
L'Abandon des prétentions de Blandine Rinkel
Une femme sans prétentions,
curieuse et ouverte sur le monde, qui aime aller à la rencontre des gens. Une
écriture singulière et finement ciselée, sous la plume acérée de Blandine
Rinkel. Un premier roman bouleversant.
Dans son roman
« L’Abandon des prétentions », paru chez les éditions Fayard, en 2017,
Blandine Rinkel nous dresse le portrait intime de sa mère Jeanine, professeur
d’anglais retraitée, qui vit dans la banlieue de Nantes. Une femme qui fait preuve
d’empathie pour les autres, prête « à accorder sa confiance à n’importe
quelle « bonne âme » croisée dans la rue », à la
personnalité attachante, « aimantée par tous les étrangers qu’elle
croise ».
Soixante-cinq petits
chapitres comme autant de fragments d’une vie qui compose une mosaïque où fusionne
le monde et une mère. Car en soixante-cinq courts chapitres, comme le nombre
des années de son personnage, la romancière explore les forces et les
faiblesses de cette héroïne qui a fait le choix de transformer sa cuisine en « un
lieu d’écoute sociale, en une salle de confidence » et l’on comprend aussitôt
que cette « foi pure en l’humain, demeurée intacte en dépit de toutes
les déconvenues rencontrées dans sa vie » reflète aussi un « manque
de confiance en soi induit par son milieu rural et pauvre, la peur d’être
humiliée par des mieux-nés qu’elle » (Jeanine refuse de se présenter à
l’examen oral du Capes en espagnol, qu’elle réussira brillamment et auquel elle s’est
finalement rendue grâce à la persévérance de son frère, qui lui forcera la main).
Des failles qui engendrent très vite un abandon des prétentions de réussite et
de reconnaissance sociale.
D’autre part, nous
explique l’auteure, ce sentiment de manque en soi de sa mère développe en
quelque sorte « un penchant pour la liberté qu’offre l’abandon des prétentions »,
faisant d’elle une femme dotée de « cette sorte de pouvoir magique vous
permettant de régénérer votre innocence à l’infini ». On découvre la
tendresse et la reconnaissance de l’auteure envers sa mère pour la femme qu’elle
est devenue, mais aussi un peu d’agacement face à la sainteté de la mère :
« Peut-on en vouloir à quelqu’un de n’en vouloir jamais à personne ?
Pour qui n’est pas sage lui-même, il y a quelque chose d’insoutenable dans la
sainteté de l’autre, comme il y a, pour l’orgueilleux, du détestable dans la
modestie, pour le sédentaire, quelque dégoût vis-à-vis du nomade. »
Jeanine note des pensées,
des expressions, des citations, des beaux mots saisis au vol sur des post-it qu’elle
laisse sur le frigo, l’ordinateur, la commode. « Elle collectionne les
traits d’esprit des médias comme d’autres les papillons, les attrapent en plein
vol quand ils jaillissent sur les ondes sur les écrans ». Comme cette question
recopiée sur un post-it « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? », faisant
écho aux questionnements qui reviennent immanquablement.
Mais la romancière semble
comprendre le choix de son héroïne : « contre la tyrannie des
ambitions, elle a préféré affiner sa part sensible ». Un choix compris par
une fille pour sa mère : « Je ne peux m’empêcher d’en vouloir,
tout en sachant que c’est un tort, à ceux dont la confiance en soi ne faiblira
jamais. Ces individus nés avec un moteur turbo dans le cœur, qui bondissent de
réussites institutionnelles en succès professionnels, alternant entre dîners à adrénaline
sociale et orgueilleuses retraites de travail. Ces surfemmes, ces surhommes
sont les incarnations des modèles qu’on trouve dans les livres de développement
personnel : ils gravissent sans crainte et s’ils chutent, se relèvent. Ce
n’est pas la jalousie qui me mine, puisque de l’extérieur il se pourrait même
que je ressemble à ces pantins de l’assurance, non, je leur en veux pour ma
mère, songeant au regard dur que ces vainqueurs portent à leurs admirateurs
silencieux, plus incertains ».
En ce sens, le roman se veut aussi une fresque sociale, si l’on considère qu’il expose le portait d’une femme représentative d’une génération qui reflète une partie de l’histoire de France, de ses changements et mutations.
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