par Maria Augustina Hancu
Un roman noir qui nous plonge intimement dans le monde violent et
chaotique «de l’impitoyable transition» post-communiste des années 1990 en
République de Moldavie, ce petit pays latin d’Europe orientale, devenu
indépendant après le démantèlement de l’URSS. L’univers trouble d’un pays en
quête d’une nouvelle identité, après avoir livré ses habitants à eux-mêmes et
fait d’eux «des destins sacrifiés». Un magnifique roman sur la difficulté de se
construire sur les ruines d’un monde décomposé.
«Le Royaume de Sasha Kozak» de Iulian Ciocan, paru récemment aux éditions Belleville et traduit du
roumain par Florica Ciodaru-Courriol, se présente comme un «roman social
déjanté», mais aussi, selon l’auteur lui-même, comme une exploration
psychologique «de l’individu privé de toute certitude». On retrouve dans ce
livre, d’une écriture sensible et émouvante, tout aussi ironique que drôle à sa
manière, le style désarmant du romancier moldave que l’on a apprécié dans ses
précédents romans.
Comment
vivre sa vie lorsque l’être humain est seul face aux intempéries de l’Histoire,
sans autre bouclier de protection que son imagination, ses rêves et ses
espoirs? Comment supporter la réalité insupportable alors qu’il n’a que son
propre destin comme frein à l’engloutissement et à l’anéantissement d’une
transition post-soviétique sans fin? Voilà des questions qui hantent les
personnages, dans une Moldavie enclavée et déchirée, «entre deux sphères
d’influence voisines que tout oppose, une latine et l’autre slave», comme l’a
bien remarqué Cristina
Hermeziu.
Les protagonistes n’ont d’autre choix que celui de coexister dans ces deux communautés, dans un décor sombre et sans lendemain, en essayant, chacun à leur manière, d’échapper à un environnement suffocant:
Les protagonistes n’ont d’autre choix que celui de coexister dans ces deux communautés, dans un décor sombre et sans lendemain, en essayant, chacun à leur manière, d’échapper à un environnement suffocant:
«Jusqu’au
petit matin, elle dressait le bilan de son existence en tressaillant de temps à
autre, lorsque les hurlements des chiens errants déchiraient le silence
sinistre de la nuit.
Ses méditations nocturnes la confrontaient dans sa conviction que la nature humaine prospérait dans le règne de la vanité et de la mort. Et s’il en était ainsi, n’aurait-il pas été naturel que l’humanité, partageant une même souffrance, soit meilleure, plus miséricordieuse et soudée? Or les gens que Victoria Ionovna croisait quotidiennement, non seulement ne se souciaient pas du lendemain, non seulement perdaient leur temps en broutilles, mais en plus étaient dominés par la concupiscence, l’orgueil et l’envie.»
Ses méditations nocturnes la confrontaient dans sa conviction que la nature humaine prospérait dans le règne de la vanité et de la mort. Et s’il en était ainsi, n’aurait-il pas été naturel que l’humanité, partageant une même souffrance, soit meilleure, plus miséricordieuse et soudée? Or les gens que Victoria Ionovna croisait quotidiennement, non seulement ne se souciaient pas du lendemain, non seulement perdaient leur temps en broutilles, mais en plus étaient dominés par la concupiscence, l’orgueil et l’envie.»
La
noirceur d’un monde dépourvu d’espoir, en décomposition lente et inévitable,
s’étend sur un vaste espace, à l’instar de l’univers sombre du Tango de Satan (Satantango) du cinéaste
Bela Tarr, dans le village perdu de l’immense plaine hongroise Puszta.
Comme les héros du cinéaste hongrois, les protagonistes de Iulian Ciocan luttent contre leurs démons, chacun avec ses propres moyens, pour se donner l’illusion de construire quelque chose, alors que «les années 90 étaient venues, le temps de la débandade et des destins sacrifiés» et que «des ruines de l’URSS naquit le chaos».
Comme les héros du cinéaste hongrois, les protagonistes de Iulian Ciocan luttent contre leurs démons, chacun avec ses propres moyens, pour se donner l’illusion de construire quelque chose, alors que «les années 90 étaient venues, le temps de la débandade et des destins sacrifiés» et que «des ruines de l’URSS naquit le chaos».
Le
besoin de construire un rempart auquel s’accrocher devient impérieux lorsque le
temps et l’époque propulsent désespérément ses habitants en avant à une vitesse
fulgurante, impossible a à contrôler.
Certains
se noient dans leur travail sans chercher à comprendre le sens de leur vie,
d’autres ne jurent que par ces feuilletons dramatiques latino-américains qui
leur font penser qu’ailleurs il y a plus malheureux qu’eux, d’autres encore
sont hantés par un amour mal cicatrisé; tout est bon pour faire surgir les
frustrations d’un monde désillusionné. On ne cherche qu’à s’évader de cet
espace «où le plus dur était d’admettre son irrévocable inutilité».
Octavian
Condurache, jeune journaliste désenchanté, ne rêve que d’écrire le roman de sa
vie: il s’accroche autant que possible à ses rêves, malgré les critiques de sa
femme Marcela.
Alexandru Cazacu, alias Sasha Kozak, ne peut contrôler sa vie, qui lui échappe, en cette époque de transition qui fait glisser les gens comme sur un toboggan. L’unique moyen pour lui d’avoir une prise sur son destin est de séduire les filles et de les jeter après usage, car «la vie était courte». Mais les protagonistes sont aussitôt rattrapés par leur destin et Sasha Kozak n’échappe pas à la pensée obsessionnelle qu’ «il avait laissé passer sa chance, et peut-être fichu sa vie en l’air... Un goût amer, insupportable, avait inondé sa bouche; c’était celui de la solitude... Sa vie n’était qu’une succession écœurante d’espoirs réduits à néant».
Alexandru Cazacu, alias Sasha Kozak, ne peut contrôler sa vie, qui lui échappe, en cette époque de transition qui fait glisser les gens comme sur un toboggan. L’unique moyen pour lui d’avoir une prise sur son destin est de séduire les filles et de les jeter après usage, car «la vie était courte». Mais les protagonistes sont aussitôt rattrapés par leur destin et Sasha Kozak n’échappe pas à la pensée obsessionnelle qu’ «il avait laissé passer sa chance, et peut-être fichu sa vie en l’air... Un goût amer, insupportable, avait inondé sa bouche; c’était celui de la solitude... Sa vie n’était qu’une succession écœurante d’espoirs réduits à néant».
Outre
quelques pensées sur l’écriture de son roman, Iulian Ciocan, dans le
post-scriptum, s’adresse tout particulièrement aux lecteurs français, précisant
que la littérature moldave, vue selon une perspective francophone, est à
présent à l’ombre de la culture russe et qu’elle mérite plus d’attention car,
nous dit-il, «un écrivain russe, quelle que soit sa valeur, ne peut comprendre
le passé d’un Moldave de Moldavie latine».
Raison
de plus pour saluer l’apparition de ce roman fascinant, qui nous fait voyager à
travers un monde fort peu exploré, riche en culture et en histoire.
Maria Augustina Hâncu
http://revue-texture.fr/le-royaume-de-sasha-kozak.html
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